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L’autre jour, je lisais cet article par Laetitia Vitaud intitulé “A quoi servent encore les SSII ?” C’est un long article, intéressant mais qui me semble contenir pas mal de raccourcis et de préjugés concernant les SSII. Comprenons-nous bien, je ne suis pas un fan absolu de ces entreprises, loin s’en faut. Mais l’article ne reflète pas ma vision car, comme bien souvent dans la vie, les choses sont plus nuancées que cela.

L’opacité

L’opacité mentionnée à plusieurs reprises dans l’article est à moduler. L’opacité sur la marge me paraît bien anodine et courante dans tous les métiers ; on ne sait pas quelle marge se fait un restaurateur pour chaque repas ou pour chaque plat. Idem pour des services bancaires ou une coupe de cheveux chez le coiffeur. Il est en revanche exact que certaines SSII ne divulguent pas leur tarif à leurs salariés, mais ce n’est pas le cas partout. Personnellement, en 9 ans dans la même SSII, je l’ai toujours su. Donc on ne peut pas généraliser si facilement.

Un bateau navigue au milieu du brouillard.
“Tu t’y retrouves toi, dans les marges opérationnelles de ta SSII ?”

Un point où je ne suis pas du tout d’accord concerne la partie sur la proportion salariés/non-salariés dans une SSII et notamment ce passage :

Pour ce qui concerne les contrats en régie, il est même rare de placer des salariés.

Alors soit c’est moi qui ai une vision extrêmement biaisée, soit on ne parle pas de la même chose. Mais pour des ingés en informatique sur la région parisienne, je n’ai jamais vu une SSII qui aurait plus de freelances ou autres sous-traitants que de salariés. Je ne dis pas qu’il n’en existe pas, mais je ne crois pas que ce soit un modèle très courant. De même, quand je lis :

Il ne serait pas rentable pour les SSII d’avoir trop de salariés car les inter-contrats (les périodes de creux entre deux missions) représentent pour elles un risque de gouffre financier

Je m’interroge : de quel risque parle-t-on ? De ne pas pouvoir placer des ingénieurs en informatique ? A titre personnel, j’ai cumulé en tout et pour tout 4 mois d’intercontrat en 9 ans… Je veux bien croire qu’il existe des professions pour lesquelles il y a un vrai risque, mais pas la régie en IT. D’autant plus qu’il existe plusieurs façons de mitiger ce risque : RTT employeurs, rémunération variable indexée sur l’activité chez le client, travaux internes à la SSII, formation…
Il me semble donc hasardeux de prétendre que les SSII n’embauchent pas pour des contrats en régie sans donner de chiffres ou d’explication du contexte.

Les parasites

Concernant le référencement, on peut lire que

les grandes SSII bénéficient d’une sorte de situation de rente car elles sont parfois un passage obligé pour un ingénieur souhaitant travailler auprès de ces grandes entreprises

Oui et non. Le référencement il a fallu aller le chercher, comme Laetitia a d’ailleurs pu le constater lors de son expérience de commerciale en SSII. Il faut aussi investir pour le garder, certains gros clients imposant une clause d’un certain nombre de prestataires d’une SSII pour garder tel ou tel niveau de référencement. En-dessous d’un certain nombre, le référencement peut être tout bonnement perdu. Il est donc logique de répercuter le coût de ces investissements ensuite, que ce soit sur le tarif du sous-traitant ou du salaire de l’employé. La SSII a pu se construire un carnet d’adresses de part sa puissance commerciale, il est normal qu’un prestataire externe voulant y accéder doive payer. Maintenant oui, il est fort probable que le bénefice qui en est tiré soit (trop) élevé ou que la marge imposée par certaines SSII aux freelances soit trop importante, mais c’est loin d’être le cas partout.
Laetitia illustre avec l’exemple de Youri :

On me suggère de passer par Atos, à l’époque “Atos Origin”, une société multi-nationale qui sert déjà de conduit à mes futurs collègues. (…) Tout cela est nébuleux, et nouveau pour moi. Je n’ai pas vraiment le choix, et mon choix ne semble de toute façon pas avoir beaucoup d’importance.

A mon sens, il y a là plusieurs points d’attention :

  • “on me suggère” : qui ? Pourquoi ? Quel est leur intérêt dans cette affaire ?
  • “futurs collègues” : pourquoi ne pas les avoir contactés pour avoir un retour ?
  • “nébuleux, et nouveau pour moi” : là encore, si rien n’est clair, pourquoi ne pas être allé chercher l’info ailleurs, auprès de personnes ayant cette expérience ?

Ici, en quelques phrases, on voit surtout l’inexpérience du nouvel indépendant. Un peu comme moi quand j’ai commencé (j’y reviendrai dans un prochain article), il y a tellement de choses à comprendre et auxquelles faire attention qu’on en oublie et on se fait avoir. En plus, on parle ici de marché public, auquel la SSII à dû soumettre une candidature, construire un dossier, le défendre, etc… tout cela n’est pas gratuit. On peut parler de parasitisme, mais en l’occurrence c’est le mode de fonctionnement du client : pas de prestataire en direct.

Le personnage de Dracula avec un sourire sardonique.
Fig. 1 : Commercial de SSII après avoir s(a)igné un nouveau candidat chez un client.

A mon avis, la vision “SSII parasite” est très réductrice car elle cache le travail accompli autour de la mission : commercial (pour trouver la mission), RH (conditions de travail dans la SSII mais aussi suivi de carrière, de formation), administratif et financier (gestion des fiches de paie, factures, relations avec les clients notamment les mauvais payeurs). Toutes ces fonctions que je qualifie de “support” dans mes précédents articles sont essentielles et, lorsqu’on devient freelance, on s’en aperçoit très rapidement.

D’autre part, le coût demandé par une SSII intermédiaire peut évidemment être sujet à négociation. Déjà en faisant jouer la concurrence (quand c’est possible), en s’appuyant sur le tarif (15% sur un tarif jour de 400 € c’est pas pareil que 15% sur un tarif de 650 €… donc dans le dernier cas un effort est plus facile à consentir pour la SSII) et surtout en atténuant les délais de paiement. La SSII a souvent une trésorerie suffisante pour se permettre de payer le freelance à 15 jours alors que le client paye à 45 et cela ne lui coûtera pas grand-chose alors que cela apportera plus de sécurité au freelance.

L’alternative des plateformes pour freelances

L’activité de “régie” assurée par les SSII est menacée, rendue obsolète par des plateformes internet qui imposent de la transparence

Là encore, oui et non. Tous les ingénieurs en informatique ne veulent pas forcément devenir freelances. Salarié en CDI avec un salaire qui paraît suffisant, ça va très bien à plein de gens. Ce n’est pas parce qu’il y a des facilités et des opportunités que tout le monde va foncer. Etre freelance, même en IT, comporte des risques et certaines difficultés auxquelles pas mal de monde n’a pas envie de se confronter. Le cas de la SSII en France est particulier car on parle d’un CDI qui apporte une sécurité non négligeable contrairement à d’autres pays plus libéraux. L'”autonomie complète” a un coût. Oui des SSII vont se planter, mais à mon avis tout le modèle ne va pas s’effondrer non plus à court ni même moyen terme.

Des silhouettes de singes accrochés sur une branche ; en-dessous l'inscription "If you pay peanuts, you get monkeys".
Pour faire plus constructif, voici un très bon article sur l’importance d’afficher le juste prix quand on est freelance.

L’alternative des plateformes pour freelances n’a pas que des avantages, surtout pour des activités de régie. Notamment au niveau des tarifs qui sont très clairement tirés vers le bas. Exemple sur Malt avec la recherche “developpeur backend” sur Paris et en filtrant sur “7 ans et +” d’XP et “Java” (marche aussi avec C#) : des TJ à 380 ou 400 € sont légion, avec des pointes à 250 (!), tout en gardant en tête que la plateforme prend 10% de commissions dessus. On est loin du marché actuel où les clients sont prêts à payer au moins 500 €/j pour de tels profils (et clairement plus pour des profils experts). Et les freelances pratiquant justement ces tarifs sur Malt ont 0 mission au compteur, là où les moins chers vont afficher au moins 5 missions. Ce qui montre que les clients vont avoir tendance à privilégier les moins chers… contribuant ainsi à casser les prix. Les plateformes de mise en relation sont une solution différente des SSII mais qui n’est pas sans défaut.

Tout ça pour dire…

On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Je suis 100% d’accord avec la conclusion de Laetitia sur le fait que le SI doit redevenir partie intégrante d’une grande entreprise au lieu d’être externalisée. Mais on n’y est pas encore. Pour moi, le véritable enjeu est de donner les clés de la réussite aux freelances pour les personnes qui souhaitent le devenir. Il faut pouvoir trouver des clients et négocier son tarif sans se dévaloriser ou casser le marché et cela passe soit par une augmentation du travail personnel du freelance (formation en négociation, marketing, réseaux…) soit par une délégation de ces activités à une autre entité (SSII, plateforme de mise en relation… peut-être même des commerciaux freelances ?). Dans tous les cas, il y a un coût qu’il faut accepter de payer.

Pour répondre à la question initiale “A quoi servent encore les SSII ?” Eh bien à mettre en relation des profils avec des clients, à apporter la sécurité d’un CDI aux gens qui ne veulent pas de la précarité du statut de freelance… et des quantités d’autres choses pour certaines SSII de qualité qui n’hésitent pas à investir réellement dans leurs collaborateurs. Tout le monde ne peut (ou ne veut) pas partir freelance ; le modèle des SSII répond à ces personnes.

Pour terminer, je pense qu’on est d’accord sur le fait qu’il existe de nombreux abus, notamment de la part de grands groupes bien connus. Mais généraliser à l’ensemble des acteurs me semble exagéré, pour ne pas dire caricatural.


Guillaume Téchené

Software developer since 2000, I try to make the right things right. I usually work with .Net (C#) and Azure, mostly because the ecosystem is really friendly and helps me focus on the right things. I try to avoid unnecessary (a.k.a. accidental) complexity and in general everything that gets in the way of solving the essential complexity induced by the business needs. This is why I favor a test-first approach to focus first on the problem space and ask questions to business experts before even coding the feature.